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  Journalsemilitteraire

Petit Piment (Alain Mabanckou)

18 Septembre 2018 , Rédigé par Angua Publié dans #Lectures curieuses, #Un journal semi-littéraire, #Lectures classiques, #Jolies phrases

Ou le principe de la lecture surprise qui s'invite alors que l'on a rien demandé. OK, mi-surprise, j'y pensais depuis longtemps quand je l'ai re-croisé :

 

 

J'ai beau suivre de trèèèèèèèès loin ce que se fait, se dit, s'écrit en littérature "non-réaliste" (ça me gêne de plus en plus de parler de "blanche"), je ne pouvais pas passer à côté d'Alain Mabanckou. Déjà, il y a ses bouquins, mais aussi ses prises de positions, et à l'époque de la sortie de Petit Piment, je m'étais dit que, quand même, il pourrait me plaire, tout réaliste qu'il soit.

Et bingo.

Petit Piment, c'est l'histoire de Moïse, ou du moins, d'un personnage que nous appellerons ainsi puisque son nom de baptême est si long qu'il mérite plusieurs bracelets pour être écrit. Il grandit dans un orphelinat de Loango, à une vingtaine de kilomètres de Pointe-Noire, au Congo Brazzaville à un moment où la religion est chassée des lieux (dommage, le prêtre qui leur apprenait des danses pygmées était aimé, et l'un des seuls aimant envers les enfants) et remplacé par la belle et grande idéologie des travailleurs, incarnée dans les lieux par le directeur. Derrière les grandes idées, le quotidien reste rude, et Moïse raconte son amitié avec Bonaventure, les brimades endurées par les jumeaux Songi-Songi et Tala-Tala... dont l'injustice l'amène à élaborer un plan de vengeance. Une fois ceux-ci remis sur pieds, il est accepté par le duo, et l'évasion est envisagée.
C'est ainsi qu'il découvre l'indépendance, et une vie de larcins qu'on devine misérable, jusqu'à sa rencontre avec Maman Fiat 500, honorable Mère Maquerelle à la clientèle de luxe.

C'est aussi drôle qu'intelligent, et il y a des fabuleux passages dans ce roman. Tenez, un échantillon :

 

Si je suis malade, c'est à cause des compléments circonstanciels. [...]
Mon ami Fort la Mort m'a dit que la complément circonstanciel est là pour compléter l'action qu'exprime le verbe selon les circonstances. C'est vous dire que sans lui, le verbe il est foutu pour de bon, il n'exprime plus avec précision la cause, el moyen, la comparaison, etc. est-ce que je me trompe ? Peut-être que ma mémoire n'est plus fiable parce que j'ai perdu la plupart de mes compléments circonstanciels ! Ou alors je ne sais plus les placer dans mes phrases !

Alain Mabanckou, Petit Piment, édition Seuil, p.236

Enfin, j'ai été touchée par la narration en elle-même. Tout son art consiste ici à nous décrire l'horreur et la misère sans jamais en avoir l'air : Petit Piment est au-delà de ça. Pourquoi s'émouvrait-il du quotidien qu'il a toujours connu ? Derrière la grande fantaisie du personnage, j'ai retrouvé un regard sur le Congo souvent croisé chez mes élèves qui en arrivaient, ce qui me l'a rendu familier dès les premières pages. Sans le savoir, ils ne sont pas étrangers à ce choix, Wiki et consorts, c'est bien joli, mais je pense que la littérature a toujours un rôle à jouer pour donner à voir l'ailleurs, aussi subjective soit-elle.
Quoi qu'il en soit, je me suis régalée, et ce n'est pas si souvent quand je sors de ma zone de confort. Je pourrais presque y revenir.

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